Entretien avec Jérome Vanier, Directeur du Tennis Club de Lyon, ancien joueur de tennis professionnel.

– Peux-tu te présenter s’il-te-plait ?

Jérome Vanier : J’ai un parcours assez long mais je vais essayer de synthétiser. Tout d’abord, j’ai grandi avec le début du sport professionnel, du tennis professionnel. J’ai eu un parcours classique avec le bac. Ensuite, j’ai eu la chance de grandir avec le début des structures fédérales. Ce n’était pas comme maintenant mais il y avait déjà une détection. Je faisais partie des meilleurs français dans les catégories jeunes. Il y avait très peu de joueurs qui étaient aidés par les marques. C’est totalement par rapport à aujourd’hui. J’ai dû être un des premiers français à aller aux Etats-Unis pour étudier dans une université à Dallas pendant 4 ans (1979/1983). J’ai obtenu un diplôme marketing et pendant ce temps-là, je jouais toujours au tennis. Je me suis laissé deux ans pour voir où je vais et qu’est-ce que je pouvais faire. J’ai obtenu la 7ème place française et  la 102ème place à l’ATP.

J’ai arrêté à cause d’une mononucléose à l’âge de 24/25 ans. Je n’ai jamais pu revenir physiquement. Je commençais à gagner ma vie mais pour gagner sa vie au tennis, quel que soit les époques, il faut être dans le top 100 et y rester un bout de temps. Après, j’ai essayé du coup d’utiliser mon diplôme marketing mais tu te rends compte que dans le sport il y a très peu de place, surtout à l’époque. Mais j’ai eu la chance de rencontrer au bon timing Pierre Barthez, un des meilleurs joueurs français  des années 60/70 qui avait créé un camp de tennis, à l’américaine. Il m’a proposé d’enseigné là-bas. Cela a été une passion de m’occuper de ces stages au Cap d’Agde pendant 7 ans. En 1994, le Tennis Club de Lyon m’a démarché là-bas. Je suis donc au club depuis cette date.

– Quel est ton rôle quotidien au club ?

JV : Mon rôle a tout d’abord, beaucoup évolué pendant ces années. Au début, c’était pour lancer le tennis : école de tennis, compétition, match par équipe etc. Et ensuite il y a eu une grande évolution que ça soit d’un côté humain ou au niveau des structures. Au début, j’étais un peu plus sur le terrain, du côté de l’enseignement, après c’était plus le management des profs, équipe pédagogiques mais dans une contrainte de temps, j’ai dû me concentrer sur le management et que toute le monde cohabite et d’avoir une bonne ambiance. Depuis 20 ans, l’évolution au sein du club est énorme. Au début, il n’y avait que des terrains de tennis, ensuite on a construit une salle de gym, ensuite salle de réunion, puis deux courts de squashs et…… depuis mai 2018, le PADEL !

– Quelle belle transition, quand as-tu découvert le Padel ?

JV : Je pense que j’ai découvert le padel il y a 15/20 ans.

-En Espagne ?

JV : Non, ici au TCL. La fédération de padel, à l’époque, était venue nous démarcher. Il n’y avait pas eu de terrains installés mais c’était la première fois que j’en entendais parler.

Quand est-ce que tu as joué la première fois ?

JV : La première fois était aussi ici (2015) avec Jean-Charles Maleysson qui a proposé au club de louer un court de démonstration pendant deux/ trois mois avec comme projet de proposer de mettre en place un court voir plusieurs par la suite.

-Pourquoi ne pas avoir choisi d’installer ou de mettre en place tout de suite un court ?

JV : D’abord, cette période n’a pas vraiment marché pour des raisons diverses. C’était en été, au club, il n’y avait pas grand monde… En plus, quand il y avait du monde, c’était la canicule. Il faut aussi avoir un peu de chances dans ce type de projet qui a coûté près de 20 000 euros. Malheureusement, il a dû en avoir pour sa pomme. Et puis après, un des premiers à ouvrir était Padel Central à Dardilly (complexe privé) et puis après est venu les clubs de tennis comme Rillieux ou TCM5.

-Du coup, pourquoi avoir construit des courts maintenant ?

JV : Parce qu’il y avait une certaine pression de nos membres qui allait dans les clubs extérieurs (Rire). On répond à une demande. Après économiquement, je ne vais pas te le cacher, les deux courts ont coûté 90 000 euros avec les éclairages etc… Ils sont accessibles depuis début juin et on a la chance d’avoir la championne de France, Jessica Ginier.

– As-tu des contacts avec la FFT pour essayer de développer le sport au sein du TCL ?

JV : On a monté un dossier auprès de la FFT pour avoir une aide. On n’a pas encore le résultat. C’est un dossier de subvention. C’est le lien avec la Fédé et le padel mais par contre il n’y a aucun lien sur les types d’animations mais il y a Jessica Ginier qui est une enseignante au tennis, a un niveau exceptionnel au padel et qui est une bonne animatrice. Donc c’est elle qui va s’occuper de développer l’animation du padel dans le club.

– Concernant le padel, Quels sont vos principaux concurrents ? Autre Club de tennis ? Esprit Padel ?

JV : On va dire que c’est tout le monde. D’abord, les structures (privées) qui ont des courts couverts pour l’hiver comme Esprit Padel. C’est vrai, on n’en a pas… ils vont certainement drainer des personnes. Ensuite, tu as le coût de la cotisation dans les différents clubs (moyenne de 250 euros pour les clubs, TCL= 650 euros) qui sont moindre qu’ici donc les gens peuvent se poser la question : pourquoi, j’irai là-bas… alors qu’à Rillieux ou au TCM5, j’ai la même chose pour un prix deux fois moins inférieur. Actuellement, c’est la stratégie du club et on l’assume. On verra les résultats mais pour moi un résultat c’est au bout de deux ans. Jusqu’à fin août, on fait découvrir, rien n’est payant et à partir de septembre on rentre sur des cotisations annuelles et on pourra voir le résultat.

Le frein de la concurrence c’est qu’il y a trop de clubs qui construisent des terrains à l’unité ou que deux courts d’une manière générale. Il y en a qui se disent qu’il faut en faire pour en faire. Et, comme les clubs de tennis, dès qu’il y a une nouvelle activité, il y a un engouement, tout marche mais dès que l’engouement va descendre pour une raison X, on va voir tous les côtés négatifs. La demande va se faire à la même heure c’est-à-dire de 18h jusqu’à 22h et quand on a qu’un ou deux courts c’est très vite plein. De plus, si on veut faire une animation avec deux courts, on accueille pas grand monde et on privatise les terrains. Donc sur un nombre de courts faible, on est très vite limité.

-Est-ce que tu le ressens avec le squash ? Ça fait un moment que vous avez installé ces deux courts.

JV : Alors, c’est un peu différent car, d’abord, ce n’est pas le club qui gère directement et ils sont sûr une niche. C’est un sport qui a une longue histoire. Il faut noter que le squash se joue à deux tandis que le padel faut être 4… C’est une contrainte oui. Par exemple, hier on devait jouer sur les deux courts en heure creuse. Au départ, on était 10, au final on était que 4 pour différentes raisons.

– D’un point de vue padel, Quelle est votre relation avec la marque partenaire de votre club ? Travaillez-vous sur différents projets ? Le TCL était avec Babolat, ils passent avec Technifibre.

JV : Oui, on a parlé projets parce que l’appel d’offre qui avait été fait il y a 3/4 mois, comprenait les terrains de padel pour les 3 prochaines années. Toutes les marques savaient que le padel allait être créé.

Qu’est-ce que tu leur demande concernant le padel ?

JV : Pas grand-chose, juste une batterie de test raquettes et des balles forcément. Pas d’animations car il y a Jessica qui est une ambassadrice pour nous. Elle est sponsorisée avec une marque espagnole. Etant donné qu’elle fait beaucoup de tournois, elle va à droite, à gauche, c’est elle qui servira de lien et qui aura les idées comme les stages, les écoles, les animations etc. C’est une vraie force oui.

– D’un point de vue global, quel est ton regard sur l’évolution du padel depuis 5 ans en France?

JV : oh, tu vas dans un club de tennis, on parle Padel. C’est quelque chose d’ancré désormais. Au stade Toulousains, au Touquet aux championnats de France. Il y en a de partout dans les grands clubs.

– Penses- tu que le padel est un effet de mode ? Certaines marques de tennis ne misent pas forcément dessus en termes de part de marchés. Qu’en penses-tu ?

JV : Il y a toujours eu une mode. La vraie question est : Est-ce que cette mode va pérenniser ce sport ? Par rapport à ce que j’ai dit auparavant, il faut faire attention. J’espère construire d’autres courts car deux ne sont pas suffisant.

Quelle est ta relation avec la FFT ? Pourquoi sont-ils importants ?

JV : Ils ont été malins. Le joueur de padel est licencié tennis. Même si je trouve bizarre qu’il n’y a pas de licence padel. La personne qui n’est pas dans un club de tennis et qui veut jouer au padel, aura une licence tennis parce que le padel appartient à la fédération de tennis. Je trouve ça un peu dommage qu’il n’y a pas de licence padel comme une licence compétition, loisir, ou même licence juge-arbitre. Même si sur l’espace tennis (site internet), ils arrivent à segmenter et faire la différence entre ces deux sports.

-Est-ce que tu penses que la Fédération de Padel prendra son indépendance dans les prochaines années ? Faire du Padel, un sport complètement indépendant ?

JV : Je pense que l’apport de la FFT est trop important. On est encore trop dans une logique française, pas assez dans le privé (modèle américain).  On est trop tributaire des municipalités, des subventions etc.. Tout ce qui est privé comme Esprit Padel, je trouve ça vraiment bien, c’est vraiment eux qui vont se poser les vraies questions. Je ne pense pas que yen aura assez.

– Penses-tu  qu’ils mettent tous les moyens nécessaires pour faire évoluer ce nouveau sport de raquettes ?

Non, je ne pense pas. Je pense, d’abord, que c’est un coup politique. Ils ont peut être vu qu’il y avait beaucoup de joueurs de tennis qui arrêtaient et allaient vers le padel. Ils avaient une certaine peur de perdre leur million de licenciés. C’est une façon de récupérer des licences et d’avoir un pouvoir politique. Ils ont récupérer un « petit »sport qui au départ ne leur ferait pas trop d’ombre. C’est comme un peu l’économie : on achète une petite boîte, ça nous coûte de l’argent mais ils ne vont pas nous embêter. (Une sorte de maitrise de la situation).

– Est-ce que c’est possible à moyen terme d’avoir une notoriété aussi importante qu’en Espagne ? En termes de courts, de pratiquants et même de licenciés ?

Bon déjà il y a un climat plus sympathique. Même si, j’ai rencontré des gens qui aimaient bien jouer dedans, je trouve que c’est un sport où on peut jouer à l’intérieur,  mais le padel est plus sympa à l’extérieur. C’est peut-être un problème pour Esprit Padel qui a que des courts intérieurs et dans un environnement pas super bien placé (Saint-Priest).

-En Espagne on voit qu’il y carrément plus de licenciés padel que de licenciés tennis, plus de pratiquants padel que de pratiquants tennis. Est-ce que ça serait possible en France ou est-ce que le tennis est quand même trop encré ?

JV : Je ne connais pas leur développement exactement. Mais oui, c’est privé… Le problème  des clubs est comme je l’ai dit, ils sont dépendant des municipalités et peuvent pas développer à fond. Ok, on met des courts car c’est la demande mais dans 10/15 ans… qui est-ce qui paye les rénovations ? Mais bon après c’est ludique, conviviale. Mais bon par rapport à l’Espagne, je reste perplexe en termes de développement.

– Peux-tu accueillir des tournois homologués par la FFT ? Pourquoi ?

JV : Oui, je pense. J’aimerais en faire un. Mais ils ne m’ont pas encore contacté pour en faire un.

-La professionnalisation du padel peut-il être un levier pour le développement des clubs de tennis ?

JV : Ca peut être un élément déclencheur. Car on en voit beaucoup. Par exemple, on me demande souvent où est la piscine. Alors qu’on n’a pas de piscine… Mais comme c’est le Tennis Club de Lyon, tout le monde pense qu’on en a une. Il y a deux jours, j’étais avec une fille de Bourgoin… elle me disait que son club n’avait pas fait de Padel. C’est une sorte de réflexe de demander s’il y a des terrains de padel ou non désormais. De plus, par exemple, l’un des points du padel, c’est qu’une génération comme la tienne qui a beaucoup joué au tennis avec un niveau compétition et qui a arrêté, vous avez une sensibilité et un niveau avec la raquette qui est tout de suite accessible. Vous vous amusez tout de suite avec ta bande de copain. C’est vrai que c’est une façon pour nous de vous faire revenir au club.

– Le padel peut-il concurrencer le tennis ? Notamment au sein des clubs de tennis ?

JV : Je pense que le padel est plus accessible que le tennis. Dans les écoles de jeune, le tennis est plus technique, plus difficile à jouer tandis qu’au padel, c’est relativement facile. Par exemple, ma fille qui fait un stage de tennis, elle a essayé le padel et elle s’est régalée. En effet, si les jeunes commencent à se familiariser avec le padel. Après, par contre, c’est le problème du développement… Manque de formation et manque de courts par clubs. Quand tu as deux courts au maximum, tu ne fais pas beaucoup d’animations.

Ce qui manque au tennis, c’est le fun et la convivialité, on retrouve ça au padel déjà par la conception même de ce sport : tu es proche de ton coéquipier et de tes adversaires, tu peux les chambrer plus rapidement (Rire).  Ce jeu en équipe est clairement plus fun que le tennis.

Donc, oui ça peut basculer mais il faut leur donner les moyens de se développer.

En terme de formation, il n’y a pas de profs. C’est un sport neuf. Tout dépend de la volonté des marques et de la fédération.

-As-tu quelque chose à rajouter par rapport aux moyens utilisés et possible pour le développement du padel ?

JV : Par rapport aux retours des amis, on retrouve le plaisir partagé où on passe un bon moment qui s’est un peu perdu naturellement au tennis.

Mais donc c’est pour ça qu’il faut arriver à de grands centres avec une quinzaine de courts en comprenant la compétition, le loisir, l’école de tennis et les animations. Il y a des réformes à faire notamment sur les municipalités des clubs publics car il y a toujours des batailles politiques etc…

Antoine Sarroste

Antoine Sarroste a étudié le padel. Il nous offre son expertise autour du développement du padel en France.