Mais que se passe-t-il dans le padel belge ? Alors que ce pays est l’un de ceux où l’explosion du padel est la plus forte, le mot “explosion” y est presque à prendre au sens propre, celui de “déflagration”. Le plat pays connaît depuis deux ans une véritable guerre ouverte entre deux fédérations francophones concurrentes.

Avant cela, de fut d’abord le cas dans la partie néerlandophone, la Flandre, où la fédération de tennis et celle de padel se sont affrontées pour le contrôle du second : et c’est finalement le tennis qui l’a emporté et préside désormais à la destinée du padel.

Mais après le nord, c’est désormais au sud, dans la partie francophone, que le combat fait rage. Là aussi, la fédération historique de padel, née dans les années 1990, a dû subir les assauts de la fédération de tennis, plus puissante, plus organisée et parfois davantage soutenue par le pouvoir politique et administratif.

Champ de bataille

L’enjeu de cette querelle est notamment de s’octroyer les subsides (le mot belge pour “subventions”), l’affiliation des clubs et des joueurs, l’organisation des compétitions et de la formation ainsi que la gestion du padel de haut niveau. En cette fin d’année 2022, tous les regards sont tournés vers un nouveau champ de bataille, plus politique que sportif : fin novembre, le ministère des sports et son émanation, l’ADEPS (Administration de l’éducation physique du sport) doivent départager les deux fédérations concurrentes.

A Padel Magazine, nous sommes bien évidemment neutres et – fort heureusement – nous n’avons eu besoin ni de drapeau blanc ni de casque bleu pour interroger deux acteurs du conflit, un de chaque camp. D’un côté du ring, nous avons Philippe Cerfont, trésorier de l’AFP, fédération francophone de padel, qui préside par ailleurs la Fédération européenne de padel (FEPA). Dans l’autre coin, on retrouve Clément Geens, ancien 245e joueur mondial de tennis et directeur sportif de l’AFT Padel, fédération mêlant tennis et padel.

Nous avons d’abord donné la parole au représentant de l’AFP, avant de permettre à celui de l’AFT de répondre (voir encadrés).

L’historique

La fédération belge “Padel Belgium” a été créée en 1992 pour gérer un sport qui était à l’époque confidentiel. Elle ne comptait alors que quelques rares terrains et pratiquants.

“Le padel était géré nationalement jusque vers 2015, explique Philippe Cerfont. C’est à ce moment-là qu’a été créée la partie flamande, qui a été cannibalisée par la fédération de tennis. Il y a eu toute une série de procès qui n’ont finalement abouti à rien, mais le tennis a gagné la guerre en Flandre.”

En Flandre, le padel est géré depuis par “Tennis Vlaanderen”, la fédération de tennis. La discipline s’y développe très vite et avec succès, grâce notamment au dynamisme des clubs privés.

2017 : un mariage de raison

Côté francophone, en fédération Wallonie-Bruxelles, le pouvoir politique a poussé la fédération de padel à s’unir à la fédération de tennis. Philippe Cerfont raconte ce mariage de raison : “En 2017, notre fédération de padel a signé un accord de collaboration avec la fédération de tennis, dans le but d’avoir accès aux subventions du sport régionalisé. Chez nous, c’est la fédération Wallonie-Bruxelles qui octroie des subsides de fonctionnement . On avait à l’époque environ 700 licenciés et on en a dix fois plus aujourd’hui.”

“On était très content à l’époque, car on a pu se professionnaliser, embaucher des salariés pour s’occuper de l’organisation sportive, des tournois, des règlements, de la facturation ou des dossier de subventionnement”. Mais, déplore Philippe Cerfont, “on s’est rendu compte rétrospectivement que le tennis a toujours eu la volonté de capter notre expertise technique et sportive, de manière à, un moment donné, s’accaparer entièrement la gestion du padel”.

2020 : le torchon brûle

“Le premier gros problème qu’on a eu concernait une subvention de ministère des sports pendant la crise du Covid, qui devait être redistribuée aux clubs. Et bien que le padel représentait à l’époque plus de 10% des licenciés (tennis et padel confondus), on nous a octroyé moins de 3% de l’enveloppe destinée aux clubs. Les règles d’octroi ont été définies de façon unilatérale, sans nous consulter C’était en désaccord complet avec la convention qui nous liait”, regrette Philippe Cerfont.

2021 : l’année du divorce

En 2021, les choses s’enveniment entre l’AFT et l’AFP. “Ils ont commencé à mettre en place un projet parallèle nommé AFT Padel, en partie financé par les revenus issus du padel, raconte M. Cerfont. Et en mars 2021, ils nous ont dit vouloir arrêter la collaboration à partir de novembre 2021. L’administration générale de sports et le ministère nous ont convaincu de signer une sorte de pacte de non-agression avec le tennis pour trouver un nouveau modus vivendi”.

Le trésorier de l’AFP évoque également une “assemblée générale de routine”, en juin 2021, durant laquelle “18 clubs de tennis ont mené une embuscade” et ont réussi à faire voter une motion demandant que le padel en fédération de Wallonie-Bruxelles soit géré exclusivement par la fédération de tennis (l’AFT padel). “Ça ne reflétait absolument pas la réalité, estime Philippe Cerfont. Sur les quelque 90 clubs de la fédération Wallonie-Bruxelles , il y en a environ 70 qui sont favorables à l’AF padel, notre fédération indépendante.

Novembre 2021 : la balle attribuée au tennis

En novembre 2021, l’ADEPS a reconnu, pour une période d’un an, l’AFT Padel en tant que fédération en charge du padel en Belgique francophone. Une reconnaissance non définitive, liée, selon le trésorier de l’AFP, “au fait qu’ils nous avaient bloqué lors de notre AG. Il nous a donc fallu nous réorganiser, changer nos statuts et nous battre pendant des mois pour briguer de nouveau cette reconnaissance.”

Ne pas avoir la reconnaissance du ministère n’a pas empêché l’AFP de poursuivre ses activités avec les clubs et les joueurs qui ne veulent pas entendre parler d’une fédération liée au tennis. L’AFP a donc ses clubs, ses licenciés, ses tournois, dont elle prétend qu’ils attirent beaucoup plus de joueurs que ceux de l’AFT.

Automne 2022 : les cartes rebattues ?

La reconnaissance de l’AFT par les autorités sportives arrivant à échéance en fin d’année, les deux fédérations ont déposé en août dernier des dossiers où chacune estime être plus légitime que l’autre pour s’occuper du padel. Dans un peu plus d’un mois, c’est la ministre des Sports qui tranchera entre les deux fédérations, après avoir pris l’avis du conseil supérieur des sports.

Philippe Cerfont : “Il faut que le tennis entende raison”

Le trésorier de la fédération 100% padel milite activement pour dissocier la gestion du tennis et celle du padel.

Un grand gâchis.- “L’enjeu de tout cela n’est que financier, c’est clair. Le tennis n’a absolument aucun intérêt autre que financier dans cette affaire et il le prouve à travers son manque d’enthousiasme à gérer les compétitions. Les joueurs de padel n’ont pas du tout envie de jouer les compétitions organisées par le tennis. Leurs tournois sont désertés, leurs interclubs sont désertés… Nous, cela fait des années qu’on organise tout cela. Le tennis a voulu faire la même chose, en arrivant avec des moyens, en développant un nouveau système informatique, en embauchant notre ancien directeur technique et en recrutant Clément Geens comme directeur sportif. Ils ont divisé la communauté padel de manière hallucinante. C’est ce qui fait qu’on a deux fédérations concurrentes en Belgique francophone, pour une population de 4 à 5 millions de personnes. C’est un grand gâchis.”

Combien de licenciés ? “A coups de propagande et de mensonges, l’AFT a été jusqu’à affirmer qu’elle avait 85 000 licenciés, en comptant à la fois les licenciés tennis et ceux de padel. Cela ferait d’elle la plus grande fédération de padel d’Europe, alors qu’en réalité, ils ont entre 2000 et 2500 licenciés padel [Ndlr : l’AFT revendique elle 6000 compétiteurs licenciés, en plus des joueurs loisirs de padel], pas davantage. Nous, à l’AFP, nous avons trois ou quatre fois plus de licenciés !”

Qui pilote ? “Il ne suffit pas de dire qu’on était là avant, mais surtout que l’expertise, la passion sont de notre côté, de même que le soutien des clubs, qui ont compris que dans la fédération de tennis / padel, c’est le tennis qui pilote le padel. Ce sont les 330 ou 350 clubs de tennis qui décident de l’avenir du padel, car le padel, ayant moins de clubs, est noyé dans la masse des clubs de tennis.”

Pacification.- “Si nous obtenons la reconnaissance fin novembre, on espère que le tennis va entendre raison et se concentrer sur son métier de base, le développement du tennis, et reconnaître que le padel est un autre sport. Et nous, on s’engagera à tout faire pour que tout se passe le mieux possible pour les clubs et la communauté des joueurs. C’est un message de pacification et de rassemblement qu’on a envie de faire passer.”

Philippe Cerfont, trésorier de l’AFP

Clément Geens : “L’AFT veut à la fois développer le tennis et le padel”

Le directeur sportif de l’AFT réfute les accusation de l’AFP et de son trésorier, selon qui l’AFT Padel serait un frein au développement de ce sport en Belgique francophone. Voici ses arguments.

Financement et économies d’échelle.- “Le padel s’est développé très vite et n’avait pas vraiment de « fonds » au départ, donc le fait de se lier à la fédération de tennis a permis d’avoir des fonds et de mutualiser certains coûts, en permettant de faire des économies d’échelle. Ça permet finalement d’avoir plus d’argent à investir dans le sport en lui-même.”

L’exemple de la Flandre.- “L’avantage de l’AFT Padel, c’est qu’on travaille avec la partie néerlandophone du pays, car en Flandre, c’est aussi la fédération de tennis qui gère le padel. Et là-bas, cela se passe très très bien : ils ont 4 à 5 fois plus d’affiliés, quatre fois plus de terrains, trois à quatre fois plus de clubs. Dans le Nord du pays, ça s’est développé très rapidement grâce à la fédération de tennis. La France, les Pays-Bas, l’Italie ont le même modèle de gestion. Nous avons d’ailleurs d’excellentes relations avec ces fédérations. La Fédération internationale de padel reconnaît la fédération belge dont l’AFT Padel fait partie, à la différence de l’AFP.”

En chiffres.- “96 clubs de padel sont affiliés à l’AFT, dont une quinzaine de “padel only”, avec 265 terrains en Fédération de Wallonie-Bruxelles. Cela représente un peu plus de 6000 affiliés pour la compétition, mais également un nombre quatre fois plus important d’ affiliés qui pratiquent le padel loisir, que l’AFT Padel considère comme fondamental pour le développement de ce sport. Certains de ces clubs collaborent avec l’AFP ou avec les deux fédérations et tous les clubs sont très dynamiques, quel que soit le choix opéré.”

La gouvernance.- “A l’AFT, on a créé un comité de gestion réunissant des personnes qui sont toutes issues uniquement de clubs de padel ou de clubs mixtes. Ce sont ces personnes qui sont en charge du padel, elles ont pouvoir de décision et ont des moyens importants à leur disposition pour gérer et développer le padel. L’AFT a pour mission de faire en sorte que tennis et padel se développent et peu importe lequel prospère le plus . L’AFT est gagnante dans tous les cas. Et ce ne sont pas les dirigeants du tennis qui décident du sort du padel, ce qui poserait un problème.”

Le budget.- “Les subsides accordés à chaque sport sont répartis en fonction du nombre de licenciés et de membres de chaque discipline. S’il y a de plus en plus de licences padel, il y aura un budget de plus en plus important pour le padel.”

Clément Geens, directeur sportif de l’AFT Padel

Après 40 ans de tennis, Jérôme tombe dans la marmite du padel en 2018. Depuis, il y pense tous les matins en se rasant… mais ne se rase jamais pala en main ! Journaliste en Alsace, il n’a d’autre ambition que de partager sa passion avec vous, que vous parliez français, italien, espagnol ou anglais.