Ex-numéro 1 mondial de padel entre 1988 et 1991, l’Argentin a entraîné les plus grandes paires professionnelles et continue – à presque 64 ans – à former les talents du futur et à transmettre sa passion de ce sport. Depuis trois ans, il collabore avec Décathlon pour élaborer les raquettes de la marque Kuikma, les plus vendues au monde. Nous l’avons rencontré fin 2021 dans le magnifique club de Torrelodones, proche de Madrid, où il dispense son savoir. L’occasion de l’interroger sur sa raquette idéale, le type de jeu qu’il privilégie et l’évolution mondiale des joueurs et du padel.
La raquette idéale ?
“Pour moi, la raquette de padel idéale doit avoir une grande zone d’impact (le « punto dulce ») et un équilibre légèrement en tête. Les joueurs n’ayant pas tous une grosse frappe, quand l’équilibre est vers le bas, cela favorise la maniabilité mais cela crée un manque de puissance, la raquette de padel ayant un bras de levier plus court que la raquette de tennis. Avec des raquettes trop légères, la balle ne sort pas assez quand on décentre légèrement ou qu’on veut la faire revenir de son côté. Avec une raquette « soft », il faut encore plus de poids car cela absorbe beaucoup de puissance. Un joueur puissant pourra s’en sortir avec n’importe quelle raquette ; mais celui qui manque de puissance – et c’est le cas de 60 ou 70% des gens qui jouent au padel – il a un problème.”
Pas moins de 370 grammes
“Souvent, les joueurs débutants ou intermédiaires se sentent plus à l’aise avec une raquette légère. Mais une raquette légère va vibrer davantage et elle “envoie moins”. C’est encore plus le cas quand on joue avec des balles qui ne sont pas neuves. Or, en moyenne, les joueurs jouent trois parties avec les mêmes balles. Pour moi, une raquette ne devrait pas peser moins de 370 grammes. C’est le cas pour les hommes mais aussi pour les femmes. Ma femme joue mieux avec ma raquette lourde qu’avec la raquette légère que je lui ai offerte. Le problème, c’est qu’il devient difficile d’obtenir des raquettes lourdes car toutes les usines fabriquent des raquettes légères.”
« Mes raquettes pesaient jusqu’à 430 grammes »
“Quand j’étais joueur professionnel, j’ai joué avec des raquettes qui pesaient jusqu’à 430 grammes. Et quand j’ai arrêté de jouer, ma raquette pesait 390 grammes. Aujourd’hui, une raquette de 385 grammes me plaît. Quand tu veux bloquer une attaque, c’est bien mieux d’avoir une raquette lourde, elle a davantage de stabilité. Si tu me donnes une raquette de 350 grammes, elle va bouger dans ma main, toute seule.”
Que dire des raquettes Kuikma ?
“Je crois qu’elles sont assez bien conçues et réalisées (dit-il en toute objectivité, avec un grand sourire). Pourtant, je trouve qu’il nous manque encore une touche un peu différente par rapport à ce qui existe ailleurs. Aujourd’hui dans le domaine des raquettes, on ne peut pas inventer tellement plus que ce qui a déjà été inventé. Nous avons actuellement, dans la gamme expert, des raquettes soft et contrôles. A l’avenir, j’aimerais bien qu’on trouve une variante, quelque chose d’innovant en 2023, quand la gamme sera entièrement renouvelée.”
Trouver le bon compromis
“La fibre de verre est le matériau le plus agréable pour trouver la bonne sensation au moment de la frappe. Le carbone offre une rigidité qui permet de mieux sentir et de mieux contrôler la balle au moment du coup. Mais la majorité des joueurs et donc des clients de Décathlon préfèrent une frappe plus amortie, plus douce. Pour moi, le carbone doit être utilisé pour les cadres des raquettes, et ensuite, on utilise différentes couches de fibre de verre et d’aluminium pour trouver le bon compromis en termes de rigidité.”
« Notre raquette à 100 € est équivalente à celles à 300 € »
“Chez Kuikma, mon rôle est de tester les raquettes et de donner une impression sur les matériaux à utiliser pour chaque type de joueur en fonction des caractéristiques de son jeu. Ensuite, je recommande et je donne une crédibilité à une raquette d’un prix plus accessible : l’idée est de montrer qu’elle est aussi compétitive qu’une raquette plus chère. Le plus important est de convaincre les gens que notre raquette à 100 euros est équivalente à celle à 300 euros : ce n’est pas juste une question d’image, c’est simplement parce que les matériaux sont les mêmes. Plusieurs marques proposent de très bons produits selon moi. Mais il y a certaines raquettes dont le prix ne se justifie pas.”
« La folie du padel fait monter les prix »
“Certaines marques ont un prestige et un glamour qui font qu’elles peuvent vendre leurs produits très cher. C’est comme pour les montres : on peut avoir une Seiko qui fonctionne mieux qu’une Rolex mais coûtera beaucoup moins cher. Aujourd’hui, la folie du padel dans les pays nordiques comme la Suède engendre une inflation des prix. C’est vrai pour les raquettes comme pour les terrains. On commence à avoir des difficultés à acheter des terrains de padel ici en Espagne, car on les achète 25 000 euros ; les constructeurs préfèrent les vendre 32 000, voire 40 000 euros en Suède. Pour changer une moquette, je ne trouve pas de fournisseur, car c’est moins rentable de la vendre 5000 euros ici que 8000 euros en Suède.”
« L’âge d’or du padel, c’est maintenant »
“Je crois que l’âge d’or du padel, c’est maintenant. Le niveau augmente de plus en plus. Et les jeunes jouent avec les adultes de plus en plus tôt. Un garçon comme Agustin Tapia, qui a 22 ans, a commencé à jouer à 15 ans sur le circuit professionnel. Il a cette puissance et cette vélocité mentale qu’ont les jeunes, il a acquis de l’expérience parce qu’il a joué avec des partenaires adultes de bon niveau, ce qui lui a permis d’avoir un niveau de responsabilité qu’il n’aurait jamais atteint aussi vite.”
« Le jeu spectaculaire fait perdre des matches »
“Au padel, les joueurs qui gagnent le plus sont ceux qui sont les plus intelligents. Le jeu spectaculaire te donne parfois le point, mais au prix d’une prise de risque qui est le plus souvent excessive. A mes yeux, Lebron et Galan ne cherchent pas le jeu spectaculaire, mais jouent un jeu rapide et puissant. Tapia, lui, a un jeu spectaculaire, avec des coups incroyables, mais, paradoxalement, cela lui fait perdre beaucoup de matches.”
L’importance de la construction des points
“Je crois que les entraîneurs doivent accorder de l’importance au « bon jeu », à la construction des points. Tout le monde ne regarde que la finalisation des points, mais ne prête pas attention à ce qui précède. Si on prend Luka Modrić (Ndlr : le milieu de terrain croate du Real Madrid), il va faire la passe décisive, mais c’est un autre qui marquera le but. Mais cette passe décisive, elle n’a pas de prix ! Pour moi, le padel est un sport de préparation et de construction : et ceux qui savent à la fois construire et finaliser sont des maîtres.”
« Presque tous les coups sont récupérables »
“Conclure un point en padel est bien plus difficile qu’en tennis. A part quand un lob est court et qu’un joueur peut faire sortir ou revenir la balle dans son camp en frappant, tous les autres coups sont récupérables. A haut niveau, faire un par 3, par exemple, cela engendre plus de risques de perdre le point que de chances de le gagner, car les défenseurs peuvent sortir. Alors qu’avant, sortir une balle, c’était le point assuré, mais aujourd’hui, c’est fini. Pour moi, un coup qu’il faudra utiliser de plus en plus est le smash sauté, pour rechercher le par 4. C’est un coup qu’il faut travailler à l’entraînement. Car même le smash frappé fort qui revient dans son camp expose à la contre-attaque des bons défenseurs.”
« Bela, un joueur qui calcule »
“Le jeu de Belasteguin est beaucoup basé sur la construction du point à partir de la bandeja. Quand il frappe fort, il gagne presque toujours le point, mais ce n’est pas un joueur qui frappe souvent. Pourquoi ? Parce qu’il sait qu’avec deux coups de plus, il va gagner le point plus souvent. A ses yeux, il n’est donc pas nécessaire de prendre autant de risques. J’ai été coach de Bela et Lima pendant un an et demi. Je peux dire que Bela est un joueur qui calcule les risques et les chances. S’il se lance dans un duel de volée, c’est parce qu’il sait qu’il a 80% de chances de l’emporter. Car s’il sait que son adversaire a plus de chances de remporter le duel, il n’y va pas.
Il a une sortie de vitre exceptionnelle, qu’il est capable de varier. Et il choisit de faire le coup qui va mettre son partenaire en bonne position. Ensuite, les lobs qu’il fait sont également exceptionnels. Et plutôt que de taper, il n’hésite pas à laisser passer la balle pour faire une sortie de vitre car il sait que cela va lui être favorable. Et il ne cherche pas forcément à gagner le point trop vite, il préfère mettre une balle basse au centre et ne marquer le point qu’au coup suivant. Il sait que le temps joue en sa faveur car il maîtrise le temps du jeu.”
Le « 3 – 4 – 5 », l’arme de Bela
“Quand Belasteguin termine un point, il a comme un tic nerveux, ses yeux sont fixes et il pense, il pense, il pense. Il a alors un rituel : 3 secondes pour se calmer, se détendre, 4 secondes pour penser à ce qu’il va faire et 5 secondes pour passer à l’action. Et il maîtrise à la perfection ce 3-4-5. C’est quelque chose qui est instinctif chez lui, mais qu’il travaille aussi avec son psychologue. Par ailleurs, il travaille beaucoup sur la visualisation. Quand il affronte un joueur, il sait exactement quelles sont ses habitudes, de quel côté il va envoyer la balle, comment il joue les coups à 30/40, les coups à 40/30. Il sait sur qui jouer dans les moments importants et qui éviter dans ces moments-là.”
Le jeu est de plus en plus rapide
“Au padel, la défense est très puissante. Les joueurs capables de gagner des points en frappant sont peu nombreux. Alors que beaucoup savent bien défendre. La défense permet d’équilibrer les parties car les frappeurs ne sont pas toujours de bons défenseurs. Ceux qui viennent du tennis frappent souvent bien et sont bons au filet, mais derrière, c’est une autre affaire. Le matériel a aussi une grande importance : si les balles sont rapides et les raquettes puissantes, cela va avantager les gros frappeurs. Donc c’est vrai que le jeu est de plus en plus rapide. Mais le fait de jouer en plein air, parfois au niveau de la mer, peut ralentir le jeu, surtout avec des balles lentes.”
Une vitesse de jeu intermédiaire
“Personnellement, j’aime quand les balles et les conditions de jeu permettent une vitesse intermédiaire, qui favorise la stratégie. Je n’aime pas les points qui sont terminés en deux coups. Il est plus facile de juger de la qualité d’une raquette que de celle d’une balle, parce que la raquette ne se détériore pas, ou alors lentement, alors que la balle s’use plus vite et réagit différemment selon les conditions de température, de pression, d’altitude, etc. Une balle peut être bonne quand tu ouvres la boîte, mais avoir perdu beaucoup de pression trois jours après.”
« Il manque un monsieur padel en France »
“En France, il manque encore quelqu’un qui croit vraiment au padel : il faut un type comme Fred Oudeville, un passionné. Vu la manière dont le padel mondial va prospérer, le monsieur padel en France doit être quelqu’un qui vit ce sport au quotidien. Si tu n’as pas toi-même la passion, tu ne peux pas la transmettre.”
Après 40 ans de tennis, Jérôme tombe dans la marmite du padel en 2018. Depuis, il y pense tous les matins en se rasant… mais ne se rase jamais pala en main ! Journaliste en Alsace, il n’a d’autre ambition que de partager sa passion avec vous, que vous parliez français, italien, espagnol ou anglais.