Romain Taupin de Padelonomics dresse un état des lieux complet du marché du padel en France en 2020 et de ses évolutions possibles.

Le marché de la raquette en France

Tout d’abord il faut expliquer un peu le marché de la raquette en France. Nous avons dans notre pays une vraie culture raquette dans notre histoire qui nous permet d’avoir un vivier important de joueurs de tennis, squash, badminton, ping-pong… Et pourtant d’après une très bonne étude du ministère des sports réalisée en 2018, les sports de raquettes attirent peu (seulement 6% des personnes interrogées répondaient qu’elles testeraient bien un sport de raquettes) .

Pourquoi ? Et bien car le sportif/client du moment souhaite “faire du sport quand il veut, le temps qu’il veut, d’où il veut, avec peu de matériel et que ce soit bon pour la santé et se détendre”. Bref, les sports en vogue sont la course, le yoga, la piscine, la musculation ou le fitness.

Les sports de raquettes sont souvent perçus comme des sports difficiles, peu accessibles, compliqués pour trouver des partenaires, pas forcément recommandés pour la santé (le dos, les genoux…) : ils n’attirent pas vraiment.

La croissance du padel

Qu’est ce que cela implique pour le padel ? Et bien cela implique que la croissance du padel ne se réalise pas en créant de nouveaux adeptes des sports de raquettes mais en transformant (subtilisant) des joueurs existants à d’autres sports de raquettes. Et dans notre cas, le padel se développe en transformant des joueurs de tennis en joueurs de padel. Cette logique explique à elle seule une grande partie de la dynamique de croissance du padel.

Vous avez dans les années 2010 à 2015 des pionniers, des clubs privés qui se sont installés dans les 4 coins de la France. Très vite, ils se sont créés une clientèle qui était en majorité faite de joueurs de tennis reconvertis, ils ont donc subtilisé des ‘clients” aux clubs de tennis, ce qui a poussé très rapidement les clubs de tennis à installer des terrains de padel pour éviter la fuite de leurs joueurs vers d’autres infrastructures.

Ce qui a accéléré la croissance du padel car quand vous mettez un terrain de padel (la machine à transformer) à côté de la principale matière première (les joueurs de tennis), vous faites entrer le loup dans la bergerie et le processus de transformation du tennisman en joueur de padel est lancé. Un sondage que j’ai fait auprès des clubs de tennis montre d’ailleurs que 25% à 60% des licenciés des clubs de tennis jouent au padel lorsque ce dernier en a installé un. Imaginez la rapidité de transformation de ce sport en simplement quelques années dans ces clubs.

On est passé d’un peu moins de 200 terrains à 800 en 5 ans. De moins de 100 clubs à presque 400. La croissance est là, elle est constante, même si ce n’est pas un boom. Mais le boom arrive. J’ai commencé à référencer les projets à venir dans l’hexagone et je n’ai jamais vu autant de projets prévu depuis 5 ans. Les choses s’accélèrent.

Je prévois qu’on arrive à 1500 terrains en France en 2023 avec 600 clubs au total.

Le padel : une chance pour les clubs de tennis

Le padel n’est plus une mode et plus que ça, le padel se convertit aujourd’hui comme la solution miracle pour beaucoup de clubs de tennis. Devant la chute du nombre de licenciés, le manque de moyen, de travail pour les professeurs, les clubs de tennis municipaux sont obligés de se réinventer, et pour cela ils ont besoin de l’argent de la mairie. Et pour obtenir les faveurs de l’élu, le padel devient, pour beaucoup de présidents de club, la bonne option pour relancer l’activité, créer du lien social, rentable et à faible coût. Donc structurellement parlant, les étoiles s’alignent pour le padel pour booster sa croissance.

Public / Privé : deux marchés différents

Au niveau du marché du padel, chaque année on a plus de clubs de tennis qui se créent que de clubs privés (60 / 40) mais étant donné que les privés créent des plus gros projets, les courts en France restent majoritairement privés (55 contre 45). De plus, les privés développent un padel indoor à l’inverse du tennis qui développe, faute de moyens, un padel outdoor.

  

 

Au niveau de la fédé, la FFT est une chance, car de par son aura, son réseau de clubs dans le territoire, le padel gagne en visibilité et en légitimité. Par contre, le privé a raison de se regrouper pour être plus visible et peser plus dans les négociations. La FFT est forte grâce à Roland Garros qui lui rapporte 80 % de son Chiffre d’affaire (280 millions), les clubs privés doivent dès maintenant se positionner et créer un “Roland Garros du padel” dont les fruits leur reviendraient.

Padel et tennis : deux sports complémentaires ?

Le padel et le tennis ne peuvent-ils pas coexister de manière constructive ? C’est à dire le padel ne va t-il pas permettre au tennisman de retrouver un amour pour le service volée et de se remettre à la pratique du tennis plus intensément ?

Pour moi, non, c’est un scénario qu’on vend pour faire plaisir à la FFT, mais dans les faits, le padel transforme le tennisman en joueur de padel, “vole” des clients aux clubs de tennis. Ce sont les faits pour le moment. J’ai d’ailleurs un exemple personnel. Il y a moins d’un an, je propose à un club de tennis d’installer moi-même des terrains de padel dans le club de tennis, pour gérer mon club privé de padel (avec mon investissement personnel). La première réponse que j’ai eu a été “Non, si le padel arrive dans notre club, la moitié de nos tennismans arrêtent le tennis. On ne peut pas laisser un privé créer du padel dans notre club de tennis, il faut le créer nous même, sinon on est morts.” Et ils sont en train de créer leur section padel. Les clubs de tennis prennent conscience que padel et tennis ne sont pas deux amis qui se font croître mutuellement, mais deux ennemis cannibales.

Romain Taupin est économiste, enseignant de padel et a déjà eu 10 vies dans le milieu du padel. Il nous propose comme souvent ses compétences pour mieux appréhender l’actualité padel… Et toujours en chiffre !