Dans la première partie de cet entretien, Alexandre Prévert évoquait l’état d’esprit de ses joueuses, les exigences mentales et le comportement à adopter dans les matchs de haut niveau.
Dans cette seconde partie, le coach s’attaque aux dérives du circuit international, aux inégalités économiques dans le padel féminin, et partage ses propositions pour un système plus juste.

Une réalité économique impitoyable

Interrogé sur les difficultés des joueuses classées au-delà du top 100, le coach est lucide.

“Peut-on vivre du padel quand on est autour de la 150e place mondiale ? La réponse est oui, mais c’est l’exception. Il faut un alignement rare : du talent, du réseau, un entourage qui aide. Laura a la chance d’avoir tout ça. Elle a du talent, du travail, et elle est entourée. Mais c’est extrêmement inégalitaire.”

Il insiste sur l’importance du hasard et des soutiens.

“Il y a des joueuses très fortes qui n’ont pas les moyens. Et d’autres, moins fortes, qui bénéficient de soutiens. Laura bénéficie de beaucoup de choses que d’autres n’ont pas : des partenaires, des sponsors, un coach qui s’implique à fond, même financièrement. On essaie de capitaliser là-dessus, mais ça reste un privilège rare.”

Le flou du circuit FIP et ses conséquences perverses

Alexandre Prévert déplore les changements incessants dans le fonctionnement du circuit international.

“Chaque année, on change les règles. Il n’y a pas de continuité. Cette saison, la suppression des points et du prize money en qualifications Premier Padel a eu des effets pervers. Les meilleures n’y vont plus. Résultat : elles redescendent sur les FIP pour chercher les points et l’argent.”

Conséquence directe : une explosion du niveau sur les FIP Bronze.

“Des filles du top 30 qu’on ne voyait jamais sur les FIP viennent désormais y jouer. Et elles y affrontent des joueuses comme Laura, qui n’ont ni le même palmarès ni les mêmes moyens. Résultat : on n’a plus de ‘petits’ tournois accessibles. Les FIP Bronze, c’est devenu la jungle.”

“L’année dernière, on démarrait avec Laura en FIP Promotion avec 12 points. Aujourd’hui, on va finir ce week-end avec au moins 80 points. Et pourtant, en FIP Bronze, on est autour des têtes de série 14 ou 15. Ça montre bien l’explosion du niveau.”

Une disparité croissante chez les femmes

Pour Prévert, la densité du padel féminin est plus marquée que chez les hommes.

“Chez les garçons, tu peux encore faire des surprises, comme Timeo Fonteny qui fait demi au Portugal. Chez les filles, les perfs contre les têtes de série sont rarissimes. Pratiquement tout est écrit d’avance.”

Il évoque aussi les coûts logistiques élevés, notamment pour les jeunes joueuses mineures.

“Tu fais 500 km, tu dépenses 500 euros, tu te fais sortir 6/0 6/0 en 30 minutes. C’est brutal. Et c’est la norme aujourd’hui. Il n’y a plus de sous-circuit où construire.”

Un système à repenser en profondeur

Le coach propose une refonte du circuit international de padel, inspirée du tennis.

“Je calquerais l’organisation sur le tennis. Des catégories claires : P1, P2, P3, P4, P5. Et des règles qui empêchent les joueuses du top 30 de descendre en P4 ou P5. Il faut créer des filières d’accès, avec de vrais sous-circuits.”

Il dénonce aussi le manque total de visibilité en qualifications Premier Padel.

“Tu vas jouer une qualif de P2, tu dépenses énormément, tu ne gagnes ni points ni argent, et en plus il n’y a pas de streaming, pas de photos, pas de visibilité. Même les photographes ne viennent pas. C’est tout sauf motivant.”

Un rêve qui mérite mieux

Pour Prévert, Premier Padel ne donne pas encore une image professionnelle suffisante.

“Il y a eu des qualifs pas remplies en P1 ou P2. On aurait pu inscrire ma mère. Ça ne devrait pas exister sur un circuit qui prétend être pro. On est dans une période de transition, mais il est temps de poser des fondations solides.”

Et surtout, il regrette que des joueuses se désinscrivent des tournois pro :

“Aujourd’hui, on a des joueuses qui préfèrent éviter les qualifs de Premier Padel. Elles se désinscrivent, même en étant prises, parce que ça ne vaut pas le coup. Et ce sont des filles qui s’entraînent dur, qui sont prêtes à se battre. Ce n’est pas un problème d’engagement, mais de système.”

Vers une simplification du circuit ?

Une des pistes évoquées dans les coulisses : unifier le système.

“Pourquoi pas ? Aujourd’hui, on est perdus entre FIP et Premier Padel. Ce serait plus lisible. Mais encore une fois, il faudra réguler. Si c’est pour avoir quatre P5 dans la même semaine, ça ne changera rien.”

Et il défend l’idée d’une centralisation géographique :

“À l’époque du World Padel Tour, c’était plus concentré sur l’Espagne. Ça coûtait moins cher. Aujourd’hui, on est aux États-Unis, aux Philippines, en Asie… C’est bon pour l’ouverture du sport, mais pas pour le portefeuille des joueuses.”

Franck Binisti

Franck Binisti découvre le padel au Club des Pyramides en 2009 en région parisienne. Depuis, le padel fait partie de sa vie. Vous le voyez souvent faire le tour de France en allant couvrir les grands événements de padel français.