Robin Haziza, reconduit fin février en tant que sélectionneur de l’équipe de France dames, nous offre une interview exceptionnelle.
Il nous permet de revivre en temps réel, les situations dans lesquelles il a dû faire des choix avant les fameux mondiaux 2022.
Après la 7e place de l’équipe de France dames, une pluie de critiques s’est abattue sur ses épaules. Une période loin d’être évidente. Aujourd’hui, Il y répond point par point, et à cœur ouvert.
Une contre-performance qui se joue à pas grand-chose
“Les mondiaux 2022 aux Emirats, c’est une contre-performance qui, je le rappelle, se joue pas à grand-chose dans un sens comme dans l’autre.
Si certains voyaient la France comme une nation “très forte” avant ce championnat du Monde suite aux résultats précédents (Mondial au Qatar et Europe à Marbella), il faut se souvenir que lors de ces deux compétitions, le Portugal et la Suède n’étaient pas présents et lors des Europe, nous avons évité l’Italie en demie, ce qui nous a permis d’aller en finale et donc de finir 2ème.”
Je n’ai pas fanfaronné
“Je n’ai jamais fanfaronné lorsque l’équipe de France avait terminé vice-championne d’Europe, tout comme je ne dramatise pas à outrance après les championnats de Dubaï.
Je sais combien les autres nations travaillent et progressent et chaque jour l’écart entre tous les pays devient plus serré hors Espagne et Argentine.
Ce constat est valable chez les femmes mais aussi chez les hommes avec cette magnifique 3ème place qui paraissait intouchable il y a trois ans.0
Il y a bien évidement de la déception mais surtout l’envie de prendre un vrai virage et de se donner les moyens de faire mieux qu’en 2022.”
J’ai proposé un plan d’action
“Le dialogue avec Arnaud Di Pasquale [Directeur de la mission padel à la FFT] est très fluide, il était présent à Dubaï au plus près de l’équipe, il a constaté comme nous tous que les nations progressent et que nous devions nous donner les moyens de faire mieux.
J’ai donc pu, dès les mondiaux, échanger avec Arnaud et Eric (Largeron). Je leur ai proposé un plan d’action, exposé ma vision du padel féminin en France et les axes de développement, ils sont totalement alignés avec moi et ont décidé de me reconduire. Je les en remercie chaleureusement.”
La FFT a envoyé un vrai message
“Je crois qu’Arnaud et Eric ont conscience de beaucoup de chose, ils ne s’arrêtent pas au simple résultat et valorisent le travail effectué.
Ils ont la volonté de préparer l’avenir, la FFT a envoyé un vrai message en accompagnant des projets tournés vers l’international et c’est aussi ce qui m’a motivé !
Nous avons tous très envie d’une équipe de France performante, ça demande un peu de temps mais le projet se met en place.”
Je ne m’accroche pas à mon siège
“Je suis sous contrat pour un an comme tous les capitaines, je ne m’accroche pas à mon siège.
Je suis très serein et ravi de pouvoir accompagner les filles dans cette nouvelle ère et si un autre prend ma place en 2024, il aura je l’espère une belle base pour continuer le travail.”
Avec des si…
“Les baguettes magiques n’existent pas, difficile donc de jouer au jeu des SI….
Laura (Clergue) cristallise toutes les attentions. Avec elle, aurions-nous pu mieux faire ? Peut-être, peut-être pas…
Elodie (Invernon) et Mélissa (Martin) ou encore Léa (Godallier), qui ont joué à gauche n’ont pas volé leur place. Elles ont aussi bien joué toute l’année.
Nous avons également Jessica Ginier, une incontournable de l’équipe, pourtant pas présente pour des raisons familiales heureuses (jeune maman).
Et pourquoi pas Mai Vo, qui avait fait un mondial au Qatar incroyable, mais elle a décidé d’arrêter…
Vous l’avez compris, on ne peut pas refaire l’histoire, ce sont mes choix faits en pleine conscience. Je les ai faits la manière la plus cohérente possible au moment de la prise de décision qui m’était imposée pour la sélection.”
Mon choix était Jessica Ginier
“Mon choix était de partir avec Jessica Ginier que tout le monde connaît. Pour le coup, je suis certain qu’on aurait fait un autre résultat.
J’ai respecté sa décision a 100%, sa vie de famille et son besoin d’être prête a 100% pour revenir en Equipe de France.
Et l’avenir lui donne raison, car elle revient de manière spectaculaire. Elle remporte le premier FFT Padel Tour de la saison. Et je rappelle qu’elle avait pris, au côté de Lucile Pothier, un set à Alix et Léa lors des derniers Championnats de France.”
L’ordre des matchs n’est pas contrôlable
“Lors de ce mondial, on a certainement manqué de réussite. C’est comme ça. Ce qui n’est pas contrôlable c’est évidemment l’ordre des matchs. Le placement des paires peut faire tourner une rencontre. Et c’est ce qui s’est passé.
Si Alix et Charlotte avaient joué en match 2 contre la Suède ou contre la Belgique, on ne serait pas là en train de discuter…
Mais si le coach belge avait fait d’autres choix on reviendrait au même stade.
On voit bien, ici, que malheureusement pour la France, on a manqué de réussite. Parfois, nous avons été heureux par le passé comme je l’ai expliqué dans nos précédents championnats. Pas cette fois-ci.”
Faire jouer nos meilleures joueuses à gauche
“L’axe d’évolution je crois, au vu du niveau qui se resserre c’est de faire jouer nos meilleures joueuses à gauche même si, sur l’année, elles jouent à droite.
Je pense à Alix qui, après ces mondiaux et cette déception, est plus ouverte aujourd’hui au fait de passer à gauche, dans l’intérêt de l’équipe. C’est aussi le cas de Léa, d’ailleurs.
Alix est prête à se battre à gauche. Nous avons évoqué cela ensemble et je crois que c’est un des axes d’évolution en fonction des joueuses de droite et de gauche sélectionnées et de la complémentarité sur le terrain, bien évidemment.
Léa, cette année, joue d’ailleurs à gauche avec Carolina Orsi, une Italienne gauchère, ça peut donner des idées pour notre équipe.”
Je vous mets au défi de trouver un capitaine sans lien dans le padel ?
“Merci pour la question concernant mes différentes casquettes et les éventuels conflits d’intérêt [Ndlr : outre sa fonction de sélectionneur, R. Haziza est également agent de joueurs, directeur du WPT Human Padel Open et commentateur sur C+]. C’est un sujet très intéressant et je vais y répondre sans langue de bois.
Premièrement, dans l’industrie du padel en France, telle qu’elle est aujourd’hui, je vous mets au défi de trouver un capitaine qui n’a pas de lien direct avec les joueurs ou les joueuses.
Le padel n’est pas assez développé pour que la FFT missionne un capitaine à l’année sans que celui-ci ait un boulot à côté.
J’ai une mission contractuelle de 30 jours pour mon rôle de capitaine soit quatre P2000, les Championnats de France, un ou deux stages avec les filles, quelques tournois à superviser et les dix jours de compétition internationales, que dois-je faire pendant les autres 335 jours de l’année ?”
La FFT ne peut pas missionner un coach à l’année
“Admettons, je fais autre chose que du padel. On dira quoi ? le capitaine n’est pas dans le padel, il ne connaît rien, il ne peut pas gérer une équipe de France…
Le capitaine en France, à date, est soit coach de joueurs et joueuses comme Pablo Ayma, qui entraîne à l’année certains joueurs de son équipe. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que son travail a bien fonctionné, non ? Je rappelle qu’il avait subi des critiques parce que certains estimaient qu’il allait privilégier ses joueurs… c’est mal connaître le garçon !
Un capitaine peut être directeur d’un club, qui a forcément un lien avec les joueuses, ne serait-ce que pour représenter le club aux championnats de France par équipe.
S’il est commercial pour une marque de raquettes, il aura donc forcément des joueuses dans sa team d’ambasseurs…
Là où je veux en venir : la FFT ne peut pas missionner un coach a l’année, parcourir le monde comme le font Grosjean ou Benneteau au tennis… nous ne sommes pas à ce stade. Il faut donc bien travailler à côté… Le jour où cela sera possible, alors cela voudra dire que le padel est devenu incontournable en France avec de gros moyens derrière.”
Suis-je légitime ?
“Je crois que la question qu’il faut se poser est : suis-je légitime dans le rôle de capitaine de l’équipe de France ? la FFT pense que oui. J’ai été sept fois champion de France, j’ai joué en équipe de France pendant 12 ans, j’ai entraîné Laura, Alix et d’autres. Je vis en Espagne depuis sept ans en ayant fait le World Padel Tour et en connaissant tous les joueurs et joueuses, sans parler des coaches avec qui j’échange régulièrement.
Ce parcours ne me donne pas l’immunité, l’équipe de France ne m’appartient pas et je ne suis que de passage, d’autres prendront le relais et c’est la suite logique.
En attendant, je mets au service de l’équipe mon expertise, mes connaissances avec un engagement de tous les instants pendant ma mission.”
Si je n’avais pas le soutien des joueuses, je ne serais pas là
“Et enfin, si je n’avais pas le soutien des filles de toute évidence je ne serais plus en poste, elles ont été questionnées, elles aussi on fait le bilan des derniers mondiaux mais aussi des compétitons précédentes…
J’échange régulièrement avec elles et elles savent très bien que sans elles, je ne pourrais pas mener à bien la mission, nous avons un but commun alors autant travailler avec les personnes qui nous semblent être à la bonne place.”
Qui peut dire qu’Alix n’est pas une indiscutable ?
“Pour répondre à certaines critiques concernant un éventuel conflit d’intérêt entre mon rôle de sélectionneur de l’équipe de France dames et mon rôle d’agent, je crois que les choses sont très claires.
Oui, j’accompagne Alix Collombon au sein d’une structure qui n’est pas 100% la mienne. Mais qui peut dire que le choix d’Alix est discutable ?
D’ailleurs, nous n’avons pas intégré d’autres joueuses dans la structure justement pour ne pas tomber dans le conflit d’intérêt.
Enfin, la FFT est très au fait de la situation.”
Être ambassadeur d’une marque, où est le problème ?
“Comme beaucoup j’ai un contrat avec une marque de raquette dont je suis un ambassadeur. Mais où est le problème ? je ne crois pas avoir vu une joueuse en contrat Slazenger et jouer en équipe de France.
Et quand bien même ce serait le cas un jour, pensez-vous que parce que je représente la même marque je sélectionnerais une joueuse ? Même au foot, chez Nike, ça n’existe pas.”
Directeur du Human Padel Open : une aubaine pour nos Françaises
“Grâce au Human Padel Open, le premier Open du World Padel Tour qui avait lieu en France, Fiona Ligi, Laura Clergue, Lucile Pothier, Jessica Ginier, Charlotte Soubrié et Elodie invernon ont pu bénéficier d’une wild card et vivre une expérience internationale sur le meilleur circuit mondial… là où il est quasiment impossible de participer aux qualifs faute de points pour rentrer.
Que l’on me juge sur mon travail avec les filles, oui !
Mes activités en-dehors du terrain qui sont en relation avec le padel me semblent être un prérequis lorsqu’on aspire à être capitaine d’une sélection nationale et plutôt une bonne chose pour vivre au plus près du haut niveau.”
J’avais prévenu : les niveaux se resserrent
“J’étais parfaitement au fait de l’évolution du padel féminin. J’avais prévenu les filles, appuyé par Alix et Léa qui elles aussi savent que de nombreuses nations bossent bien et vite.
Je le dis à nouveau, l’Italie est très forte avec huit joueuses dans le top 100 mondial. Le Portugal n’était pas présent lors des compétitions précédentes. Et en Suède et en Belgique, le travail et l’explosion du padel dans ces pays offrent de nouvelles armes à leurs équipes.
C’est très vrai chez les femmes mais aussi chez les hommes. Demandez aux garçons comment ils jugent la Belgique et la Suède aujourd’hui. Ce sont aujourd’hui des concurrents directs et très sérieux !
Les Italiennes s’appuient sur une base d’ex-joueuses de tennis qui font le circuit pro depuis trois ans, les Belges aussi ont intégré des filles venant du tennis de haut niveau.
A nous de mettre en place des choses pour que nous aussi puissions évoluer, faire éclore de nouveaux talents et donner envie aux filles de se former, qu’elles viennent du tennis ou pas.”
Le FFT Padel Tour a fait du bien
“Ce P2000 fait du bien : un super niveau de jeu en l’absence d’Alix et Léa et la confirmation que des nouvelles joueuses arrivent sur la scène nationale avec l’envie forte de faire bouger les lignes !
Il est très tôt pour parler de sélection, ce n’était que le premier tournoi et la saison est longue mais cette concurrence va être un moteur pour les filles et va naturellement les pousser à mieux jouer, à s’entraîner plus, à aller faire des tournois internationaux, au risque de ne pas monter dans le wagon France.”
Le début d’une nouvelle ère, comme pour les messieurs il y a 5 ou 6 ans
“C’est à mon sens le début d’une nouvelle ère, comme pour les garçons il y a 5 ou 6 ans.
Des filles relèvent le défi de venir s’entraîner en Espagne et donc de progresser. On a vu le résultat chez les garçons avec cette équipe qui a évolué pendant six ans pour arriver à cette 3e place mondiale, le graal à Dubaï.
Chez les filles, quand Alix est arrivée, il y avait Laura, Léa a suivi mais Laura a arrêté par la suite et depuis 2 ou 3 ans, personne ne s’étaient véritablement lancé.
Camille, Carla, Elodie, Wendy vivent à Barcelone et s’entraînent dur. Je vais les voir régulièrement. Fiona fait des tournois internationaux. Laura est venue s’entraîner à Madrid. Marie-Amélie et Laura Buteau font des stages, tout comme Mélissa et Amélie…
Je ne peux que me réjouir de cette dynamique et j’avoue que ça a été un élément clé dans ma réflexion et l’élaboration du projet présenté à Arnaud et Éric, avec qui nous avons échangé.”
Carla étonne beaucoup de monde. Pas moi !
“Carla Touly en a étonné beaucoup. Pas moi, car je m’entraîne avec elle de temps en temps à Barcelone.
Plus sérieusement, elle a de superbes qualités pour très bien jouer au padel.
Un background de joueuse pro de tennis, une technique très sûre, physiquement très costaud et une très bonne mentalité ! Elle doit maintenant “bouffer” du padel pour comprendre le jeu, intégrer des notions tactiques… elle ne joue que depuis six mois et elle démontre déjà de très belles choses.”
“Carla, joueuse de droite, est associée à Charlotte Soubrié, qui revient donc à gauche après une année à droite.
Notez qu’en équipe de France je l’ai toujours fait jouer à gauche ce qui m’a valu quelques critiques. Charlotte est une joueuse de gauche qui certes ne fait pas des par 3 à tous les points mais qui a un jeu porté vers l’avant et qui correspond donc plus à une joueuse de gauche.
Camille Sirex met beaucoup d’engagement et d’intensité, elle aussi vient du tennis et s’entraîne dur, Marie Lefevre et Mélanie Ros, finalistes, continuent de progresser dans leur coin : sans faire de bruit, elles sont toujours au rendez-vous et embêtent toutes les joueuses, elles sont très complémentaires et jouent un padel déroutant, très intéressant.”
Louise Bahurel et Alison Carré : à suivre de près !
“Comment ne pas parler de Louise Bahurel, associée a Alison Carré, que je suis content de voir s’investir un peu plus.
Louise fait de très bon matchs, a une grinta rare et un bagage padel super intéressants. Battre deux fois Amélie et Mélissa, cela veut dire quelque-chose !”
“N’allons pas trop vite avec elle, laissons-lui le temps de progresser et surtout qu’elle prenne autant de plaisir à jouer.
Elle le sait, je la suis de près et j’échange avec elle de temps en temps tout comme avec Alexia Dechaume Balleret qui la connaît bien.
Le capitaine que je suis ne peut qu’être ravi de l’éclosion de nouvelles joueuses et paires.
Ce n’est que le début de la saison, les échéances vont être nombreuses, il va y avoir de belles batailles et c’est tant mieux pour le spectacle et notre équipe nationale.
J’ai été ravi de voir autant de monde a Bordeaux venir voir les matchs alors qu’il faisait froid, le padel est de plus en plus suivi et c’est top pour notre discipline.”
Franck Binisti découvre le padel au Club des Pyramides en 2009 en région parisienne. Depuis, le padel fait partie de sa vie. Vous le voyez souvent faire le tour de France en allant couvrir les grands événements de padel français.