Dans cette interview approfondie, Eric Largeron, l’élu en charge du padel au sein de la Fédération Française de Tennis, revient sur les défis et les opportunités que le padel rencontre en France. Il éclaire les sujets variés tels que l’évolution du padel, le nombre croissant de licenciés, les enjeux autour du développement des structures et les futurs projets en matière de tournois et d’infrastructures.
110 000 à 130 000 licenciés pratiquent le padel en France
C’était la première année de mise en place de la licence padel à 20€ et nous avons fini à 38 000 licenciés, sachant qu’il y a énormément de licenciés multi-raquettes qui pratiquent le padel, soit finalement entre 110 et 130 000 licenciés. On a obtenu ce chiffre en faisant des recoupements sur le classement, les licences donc et sur le nombre de fois où la personne a mis le padel en priorité sur son compte Ten’up.
Le point positif, c’est le boom de la pratique, l’explosion du nombre de nouvelles structures. Alors peut-être que d’autres pays font mieux et plus vite, mais je crois savoir que certaines nations sont dans le dur à cause d’un développement trop rapide. La FFT a opté pour une augmentation maîtrisée. Il y a à la fois l’ouverture de nouvelles structures privées, essentiellement padel, mais aussi des constructions de pistes dans les clubs de tennis.
Le développement du padel est exponentiel. C’est le mot que j’utilise très souvent avec l’augmentation du nombre de tournois, l’engouement autour de ce sport avec l’apparition des diffuseurs TV internationaux comme Canal+, Bein Sport… Les points positifs sont donc très positifs.
L’inflation des prix de construction est scandaleuse
L’inflation des prix liée à la construction des pistes de padel est scandaleuse. Je le dis : cette hyperinflation ne me paraît pas toujours connectée à la réalité. Mais aujourd’hui, on le sait, la demande est très importante et forcément si les promoteurs et clubs acceptent, c’est la loi de l’offre et de la demande.
On est aujourd’hui sur des pistes de padel bien plus chères qu’un court de tennis, donc ce n’est pas satisfaisant. Le prix étant un frein, cela limite indirectement le développement du padel. C’est-à-dire qu’un privé ne va pas forcément investir n’importe comment. Et les clubs de tennis n’ont pas forcément non plus l’occasion d’investir (les mairies le font de moins en moins), même s’ils sont beaucoup plus soutenus. Et c’est vrai que l’Agence Nationale du Sport a facilité grandement l’acquisition de certaines pistes dans certains endroits, mais ils ne sont pas les seuls.
L’insuffisance du nombre de jeunes
L’un des points négatifs, c’est l’insuffisance du nombre de jeunes que l’on encadre dans ce sport. Les raisons sont multiples. Je comprends tout à fait qu’une école de padel le samedi matin sur des créneaux de trois heures fait perdre des locations plus lucratives. Le mécénat a ses limites et un propriétaire de structures privées doit trouver le bon équilibre. Car il faut aussi que les privés en vivent. Donc c’est compliqué. Le mercredi après 12h, ça passe encore un peu parce que les heures sont plus creuses. Cependant, on n’a pas forcément des dirigeants ou gérants de padel qui vont à la sortie des écoles avec un flyer en disant : “venez faire jouer votre enfant”, comme on le fait par exemple pour le tennis, le foot ou le rugby, mais je suis certain qu’avec le temps ça viendra.
Le deuxième point négatif, ce sont les dames. Le ratio dames/messieurs, c’est 15% – 85%. On comprend donc qu’il y a un gros travail à faire à ce niveau-là pour essayer d’équilibrer. Cependant je pense que les chiffres sont un peu faussés dans la mesure où je suis certain que les dames vont moins vers la compétition, donc la prise de licence est aléatoire.
Les structures privées sont-elles aidées ?
Les structures privées qui font le choix d’avoir une association ne sont pas aidées à la création. Cependant, lorsqu’elles ajoutent deux, quatre pistes pour augmenter leur activité, on est là. En revanche, je dis aux clubs d’Occitanie qui sont strictement privés de ne pas faire n’importe quoi : l’association doit être distincte car elle va gérer la partie fédérale de la structure..
La Fédération est donc bien présente pour aider les privés, mais il faut bien essayer de corriger quelques abus. En revanche, oui c’est vrai qu’un club de tennis qui veut faire deux pistes de padel est aidé d’entrée, mais le privé, par contre il construit, il fait son business plan et s’il monte une association, il peut être aidé par la suite dans le développement de son activité.
Le GPM est pour l’instant une compétition à perte, mais plus pour longtemps…
Quand Gilles Moretton a choisi de lancer le G3PM à l’époque, c’était parce qu’il avait compris comme nous tous que le padel était un sport d’avenir. Ce n’était pas qu’un effet de mode. C’était important aussi de peser dans l’échiquier mondial bien complexe de ce sport. Il fallait faire un grand événement.
Et donc le grand événement, c’est frapper fort d’entrée avec du padel à Roland-Garros. Voilà donc la première édition en 2022. On savait qu’elle serait à perte (deux millions d’euros environ). La deuxième sera sans doute légèrement déficitaire encore. Mais à partir de la troisième édition et donc l’année prochaine, l’équilibre est prévu pour ensuite faire comme Roland-Garros tennis : des bénéfices qui alimenteront le padel français.
Donc, malgré le fait qu’il y ait des coûts supplémentaires que nous assumons totalement comme l’apparition des filles, c’était nécessaire. Malgré ces frais additionnels, on a pu organiser cet événement beaucoup plus tôt, beaucoup plus en amont, avec beaucoup plus d’anticipation. Et donc l’anticipation a permis d’avoir des partenaires en nombre plus important parce qu’on est quand même nous dans les partenaires tennis, à la fois sur le tournoi de Roland-Garros et sur l’ensemble de la fédération.
Donc ensuite, il faut inclure des partenaires padel. Or, certains de nos partenaires n’ont rien à voir avec le padel, mais d’autres oui. Il a fallu travailler tout ça, et je tire mon chapeau à Arnaud Di Pasquale, pour qui cela a été l’une des principales missions. On a donc considérablement étoffé notre réseau partenaire. Et même si en début de semaine, cela ne se voyait pas trop, le remplissage des tribunes, donc la billetterie, a répondu aussi très favorablement à nos espérances.
Les dates du GPM seront modifiées
Les dates du GPM 2024 ne seront pas les mêmes pour une raison très simple : les Jeux Olympiques et Paralympiques, et le comité d’Organisation Olympique va gérer le site du stade Roland-Garros jusqu’à mi-septembre. Pour l’instant, nous sommes en pleine réflexion, mais la dernière semaine de septembre semble être la piste privilégiée pour accueillir à nouveau ce grand tournoi.
« On ne peut pas se permettre d’avoir une seule piste indoor au prochain GPM »
Fin septembre, le risque de pluie est évidemment à prendre en compte. Nous avons la chance d’avoir de superbes infrastructures qui pourraient accueillir plusieurs pistes de padel indoor.
L’idée est de savoir comment les choses pourraient se passer. Tu as parlé de mettre deux pistes de padel sur le Philippe-Chatrier qui est couvert, et de faire du Court Suzanne-Lenglen (couvert aussi), la piste centrale avec ses presque 10 000 places. C’est clairement une bonne idée et je comprends ce que tu dis, mais il y aura aussi des freins.
Par exemple, le central de Roland-Garros, symboliquement, c’est le Philippe-Chatrier. Est-ce qu’on serait prêt à mettre deux pistes de padel sur ce court historique et donc une piste sur le Suzanne-Lenglen ? Et on doit penser au village, à la place des Mousquetaires transformée en guinguette et à l’esprit que l’on souhaite insuffler dans cette épreuve. Est-ce que mettre la piste centrale sur le Suzanne-Lenglen est compatible avec l’esprit du tournoi ? Pour l’instant, tout est en réflexion et rien n’est encore acté sur la forme que prendra le prochain GPM. Mais une chose est certaine, il nous faudra plusieurs pistes de padel indoor. On ne peut pas se permettre de jouer sur une ou deux pistes couvertes en 2024.
« Une épreuve française pendant le GPM, à oublier ? »
D’abord, sache que j’avais proposé pour l’édition 2022, un tournoi particulier pendant le GPM qui était seulement masculin. J’avais imaginé un super P3000 féminin. Mais cela n’a pas pu se faire et je comprends maintenant pourquoi.
Les spectateurs viennent pour un tournoi international qui est peut-être le plus grand tournoi au monde. Mettre un tournoi français au même moment, sur un terrain annexe, ce n’est pas forcément terrible. Il pourrait y avoir même de la confusion chez les spectateurs qui ne sont pas toujours au fait de l’actualité du padel. Donc à mon sens, même si j’entends certains joueurs espérer une épreuve française pendant le GPM, je ne pense pas qu’il faille le faire.
En revanche, des Championnats de France à Roland-Garros, soit avant, soit après le GPM, pourquoi pas. Cela pourrait être une piste de réflexion. Il y a un problème de timing et donc ça veut dire que nous n’avons pas forcément beaucoup de choix, ce qui complique la donne. Je respecte d’ailleurs beaucoup ces Championnats de France. Je pense l’avoir montré ce week-end.
L’idée de profiter de l’installation du GPM pour mettre le Championnat de France dans la foulée ou avant, est à étudier. Je ne suis pas certain que 2024 soit la meilleure année possible pour faire ça. Mais encore une fois, cela s’étudie éventuellement. En revanche, ce que je peux vous dire, c’est que les prochains Championnats n’auront a priori pas lieu à Toulouse, car plusieurs autres grandes structures ont vu le jour, ce qui donne beaucoup de possibilités.
Le prize-money supprimé dans les P500 ?
Pour l’instant, nous restons sur les P25, P100 et P250 pour les épreuves « loisirs » et « débutantes ». On ne rajoutera pas une nouvelle catégorie avec le P50. Si demain, on continue à avoir toujours plus de joueurs, plus de débutants, peut-être que cette piste sera réactivée.
Mais l’idée n’est pas non plus de créer une catégorie tous les ans. En revanche, aujourd’hui on a constaté beaucoup trop de P250, et surtout pas suffisamment de P500. C’est pourquoi, il se peut que le prize money soit supprimé ou revu pour le P500 afin de permettre aux clubs d’en faire davantage. En tout cas le Conseil National du Padel y travaille. Et il se pourrait qu’il y ait du changement à ce niveau-là dans le prochain guide de la compétition.
Dans l’esprit, l’idée est d’éviter d’avoir des joueurs qui ne se déplacent que pour le prize-money par exemple. Le P500 doit donc être plus accessible. Mais si on voit qu’il n’y a plus de P1000 parce qu’on fait un P500 qui rapporte quand même 500 points, je pense qu’il faudra corriger le tir. Le problème au padel, c’est qu’on réfléchit, on prend une décision et cette décision est presque obsolète au moment où on l’applique car si initialement c’est pour corriger, parfois ça peut créer un nouveau problème. On avait supprimé le prize-money en P250 pour encourager surtout ce type d’épreuves chez les dames. Même si je le conçois, chez les messieurs, c’était moins nécessaire et on a vu un transfert de tournoi P100 vers les P250.
Mais à la FFT, il y a vraiment cette ambition de faire les choses de manière équilibrée entre les joueuses et joueurs. L’idée du P500 aussi, c’est d’éviter qu’un club se dise, « ah zut, le club à quelques minutes de chez moi fait un P250 du coup, je ne peux pas faire de P250. Celui-ci pourrait donc faire un P500 plus aisément ». En revanche, je rappelle que pour un P500, il y a un cut donc tout le monde ne pourra pas y participer. Enfin pour faire un P500, il faut être JAP2 non joueur et non JAP 1, même si je suis parfaitement conscient du contournement, à savoir qu’on va mettre des JAP 2 de paille pour un P500. Mais le cut dans le P500 est important et permettra de maintenir cette épreuve comme une première vraie catégorie qui s’adresse à des joueurs plus réguliers, plus entraînés.
« La FFT pourrait évoluer vers le No-Ad si… »
Pour l’instant, l’avantage ET le point décisif existent en France. Et ce sont souvent les organisateurs qui choisissent le format en fonction de la catégorie et du besoin. Cependant les choses peuvent évoluer.
Le Word Padel Tour et les FIP utilisent le point décisif, contrairement aux Majors et aux compétitions par nations. Cependant le punto de oro a gagné du terrain, et si demain Premier Padel changeait pour ce système, alors la FFT pourrait s’aligner.
Le coaching pour toutes les catégories, possible ?
Pour l’instant non, pour de nombreuses raisons. Et la raison principale, c’est que je crains que ce soit une fausse bonne idée. Si demain le copain peut venir coacher n’importe quelle paire, cela peut générer non seulement une certaine désorganisation dans le tournoi, mais peut-être même une forme d’inégalité entre les paires qui viennent avec un coach et d’autres non.
Enfin pour les plus petites catégories, l’idée est de garder cette fraîcheur. Pour terminer, le padel est aussi un sport où on peut discuter avec son partenaire lors des changements de côté, sans absolument avoir un coach avec soi. Je ne dis pas forcément être contre, mais ce n’est pas une priorité pour l’instant.
Enfin pour terminer, je tiens à féliciter l’équipe padel au sein de la FFT qui fait un gros travail. Et aujourd’hui, incontestablement, le travail paie avec des épreuves qui se déroulent très bien.
Franck Binisti découvre le padel au Club des Pyramides en 2009 en région parisienne. Depuis, le padel fait partie de sa vie. Vous le voyez souvent faire le tour de France en allant couvrir les grands événements de padel français.