Dans « Travailler dans une organisation sportive entre engagement passionné et investissement professionnel », Caroline Chimot et Manuel Schotté décrivent les conditions objectives de travail (heures, types de postes …) et les conditions subjectives du travail (ressenti, méthode, plan de carrière …). C’est la persistance et la continuité d’une organisation de valeur associée malgré le développement du salariat dans ce secteur. C’est donc la combinaison entre la professionnalisation et le bénévolat qui va être au cœur de la problématique.

Ils démontrent la portée et les limites du développement de l’emploi dans le secteur sportif associatif : évolutions sur les emplois et en particulier le développement de l’emploi pour répondre à la concurrence de l’offre sportive commerciale. Pour répondre également à la demande de qualifications des éducateurs sportifs. C’est une situation professionnelle fragile caractérisée par la fréquence des CDD, des contrats précaires et des salaires peu élevés. Deux grands types de facteurs contribuant à la fragilité se distinguent. Il s’agit de la structure et de l’organisation de ce secteur, et de la place du bénévolat et des valeurs qui y sont associés.

La structure et l’organisation de ce secteur car c’est un secteur qui est marqué par un très grand émiettement des potentiel employeurs. La place des emplois aidés contribue à une certaine précarité et à une instabilité professionnelle dans ce secteur-là.

La place du bénévolat et des valeurs associées au bénévolat car ce sont des emplois précaires et mal rémunérés. Cela tend à rendre plus acceptable la précarité et la moindre rémunération de ce secteur.

Dans ce secteur les bénévoles occupent une position forte et importante. Dans les clubs, les bénévoles sont en position de force du fait de leur nombre, du fait de leur force décisionnaire et d’un point de vue symbolique puisqu’ils sont les garants des valeurs du bénévolat : gratuité, investissement. De plus les élus bénévoles s’investissent beaucoup et ne perçoivent aucune rémunération. Malgré cela 32 % des élus se consacrent à leur fonction de dirigeant plus de 20 heures par semaine. Ce temps de travail se répartie entre les soirs et les week-ends. Le problème de cette façon de travailler est que les salariés dépendent beaucoup des bénévoles. Par conséquent la relation de travail avec leurs dirigeants n’est pas toujours facile car cela les oblige à travailler le soir et les week-ends en plus de leur travail effectué au bureau. Cela constitue donc du travail en plus des horaires prévues. Bien évidemment le salarié dépasse alors largement les modalités de son contrat de travail autant en termes d’heures que d’investissement. Le cas des femmes cadres est encore plus intéressant car ce sont elles qui réalisent la majorité du travail domestique à la maison. La plupart de celles qui travaillent en tant que cadre dans ces organisations ne sont pas mariées et n’ont pas d’enfant. Cela s’explique par la grande importance que prend le travail dans la vie privée. Effectivement, ces cadres ramènent très souvent le travail à la maison et sont très souvent en déplacement. Tout cela montre le surinvestissement des salariés des entreprises fédérales.

Les salariés sont donc confrontés à une situation paradoxale. Ils sont recrutés sur leurs connaissances professionnelles mais il est exigé qu’ils correspondent à une façon d’être conforme aux valeurs du don de soi, du dévouement. Cette posture est problématique car si cet investissement leur est demandé, les salariés ne doivent pas dépasser leurs domaines de compétences pour ne pas remettre en cause le pouvoir des dirigeants bénévoles.

Le fait d’être dirigé par des bénévoles et d’évoluer dans un espace ayant une manière bien spécifique de procéder entraînant un surinvestissement de leur part rend le rôle des salariés assez flou. En effet, pour ces salariés la frontière entre engagement passionné et investissement professionnel s’avère être totalement brouillée. Cela peut notamment s’expliquer par le fait que la passion est le facteur de motivation principal de travail des salariés, elle est l’une de ses formes de réalisation.

Dans « Être salarié dans un club sportif : une posture problématique ? », Marc Falcoz et Emmanuel Walter expliquent que dans ces clubs des organisations duales sont mises en place. Ces organisations font cohabiter des salariés qui vont être de droit privé (cadre administratifs) et des salariés de droits publics (cadres techniques).

Une des particularités du monde sportif est d’avoir à la tête de ses organisations des bénévoles. Ils pointent le fait que cette concentration dans les mains des bénévoles va de pair avec un fonctionnement démocratique souvent peu performant. Notamment car ces instances dirigeantes présentent un faible taux de changement, avec une forte cooptation entre les individus.

Ce sont des organisations qui exigent un surinvestissement de la part de leurs membres. C’est vrai pour les élus qui ont un travail conséquent, les salariés doivent garder le même engagement professionnel à l’organisation. De plus les cadres techniques vont avoir un engagement professionnel très fort puisqu’ils doivent suivre les obligations de calendrier. C’est également vrai pour les cadres administratifs qui vont avoir un fort pouvoir d’investissement dans leur travail. Ils donnent un indicateur de l’intensité professionnelle au travers de l’exemple des femmes : ils observent que 35% des dirigeantes ou des cadres féminines vivent seules et que 45% n’ont pas d’enfants.

La place de la passion est un ressort principal de ce mode d’organisation des organisations sportives. Cette norme du don de son temps repose sur la référence à la passion pour le sport et pour la discipline particulière dans laquelle ils sont investis. La passion est également une norme professionnelle qui est une morale, un code de bonne conduite dans leur travail professionnel. La force de cette norme professionnelle est d’autant plus importante que ces organisations filtrent leurs membres sur la base de leurs expériences sportives. Cette norme de la passion est également renforcée par le pouvoir des fédérations à distribuer des postes et des gratifications. Ainsi les possibilités de remises en cause de ce système sont d’autant plus limitées que les fédérations ont un pouvoir sur leurs salariés.

Les auteurs soulignent que les organisations sont un espace de lutte interne entre les membres de ces organisations. Il y a une lutte de pouvoir et d’influence. L’originalité dans le monde sportif réside dans le fait que cette lutte oppose les dirigeants bénévoles et les salariés ou une partie des salariés. Dans ces conflits, ces deux types de membres ont des ressources différentes à mettre en œuvre ; les élus ont souvent un capital directement lié à la fédération, à l’opposé on va trouver les cadres dirigeants qui sont plus mobiles car ils ont des compétences plus pointues avec des diplômes précis. Ils ont les ressources les plus différentes et vont donc s’opposer dans ces luttes internes. Les uns mettent en avant la compétence comme principe de légitimité (les cadre administratifs) et les autres mettent en avant leur dévouement, leur fidélité et ils vont accuser fréquemment les cadres administratifs d’êtres les vecteurs de dérives par rapport aux valeurs traditionnelle du bénévolat ou de l’amateurisme.

Les salariés de ces structures sont sous-payés par rapport à leur volume horaire qui va au-delà de leur contrat. Malgré cela leurs témoignages montrent qu’ils sont satisfaits de leur travail dans ces associations. S’ils s’investissent autant c’est parce qu’ils se sentent gratifiés par une relation de réciprocité provoquée par un don de soi qui caractérise ces clubs sportifs. Les salariés considèrent que leur travail fait bénévolement est une nécessité dans un club sportif. Cette implication additionnelle est logique et nécessaire, notamment en raison de l’investissement personnel des bénévoles dirigeants. Ces témoignages peuvent s’expliquer par le parcours préalable du salarié en tant que bénévole ou encore par son attachement personnel et affectif au club, à sa passion pour le sport concerné. De plus dans ce secteur les relations avec la hiérarchie sont beaucoup mieux vécues et ressenties par les salariés qu’en entreprise. Le fait de travailler pour un club sportif en relation avec sa passion pousse le salarié à s’investir entièrement, jusqu’à prendre le pas sur sa vie privée. Il faut noter que des salariés possédant un capital sportif important peuvent en tirer profit de manière à négocier des avantages avec leurs dirigeants bénévoles (augmentation de rémunération, durée du contrat, etc).

La professionnalisation du secteur associatif sportif Français est le résultat du développement du secteur associatif. Elle ne chamboule pas pour autant la structuration des associations sportives qui sont toujours menées par le bénévolat. Néanmoins, il est difficile pour les salariés entrant au sein des structures sportives d’être reconnus pour leurs compétences dans le domaine. En effet les dirigeants bénévoles les considéreront en fonction de leurs dispositions au champ sportif, de leur investissement bénévole et de leur don de soi.

Ces deux textes montrent la coloration particulière que prend la relation salariale au sein du monde sportif car le mode d’organisation est spécifique : les employeurs sont des bénévoles et les salariés sont des professionnels régis par les règles du monde bénévole : don de soi, passion.

Nicolas ZEBBAR

Diplômé d’un Master management du sport et passionné de tennis, j’ai réalisé une étude sur le développement du tennis féminin. Pratiquant de ce sport depuis vingt ans et aujourd’hui dirigeant de mon club (TC Morlaàs dans les Pyrénées-Atlantiques), je suis toujours à l’affût de nouvelles idées visant à améliorer l’environnement de pratique des adhérents. Je suis donc ravi de pouvoir partager ce travail.